Gustave Doré

Gustave Doré
"Personne ne parle le francophone, ni n'écrit en francophone. La francophonie est de la lumière d'étoile morte. Comment le monde pourrait-il se sentir concerné par la langue d'un pays virtuel ?" Manifeste pour une littérature-monde, 2007

sábado, 29 de septiembre de 2012

ALBERT CAMUS- LA PESTE


Albert Camus

Description de cette image, également commentée ci-après
Nom de naissance Albert Camus
Activités Philosophe, romancier, dramaturge, essayiste, nouvelliste
Naissance 7 novembre 1913
Mondovi
(Dréan), Drapeau : France Algérie française
Décès 4 janvier 1960 (à 46 ans)
Villeblevin
, (Yonne) Drapeau de France France
Genres Roman, théâtre, essai, nouvelle
Distinctions Prix Nobel de littérature en 1957
Œuvres principales
Compléments
Albert Camus, né le 7 novembre 1913 à Mondovi, à proximité de Bône (actuellement Annaba), dans le département de Constantine (depuis 1962, Dréan dans la willaya d'El Taref), en Algérie, et mort le 4 janvier 1960 à Villeblevin, dans l'Yonne, est un écrivain, philosophe, romancier, dramaturge, essayiste et nouvelliste français. Il fut aussi un journaliste militant engagé dans la Résistance française et dans les combats moraux de l'après-guerre.
L'œuvre de Camus comprend des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles, des films, des poèmes et des essais dans lesquels il développe un humanisme fondé sur la prise de conscience de l'absurdité de la condition humaine mais aussi sur la révolte comme réponse à l'absurde, révolte qui conduit à l'action et donne un sens au monde et à l'existence, et « alors naît la joie étrange qui aide à vivre et mourir ».
Sa critique du totalitarisme soviétique lui vaut les anathèmes des communistes et conduit à la brouille avec Jean-Paul Sartre. Il reçoit le Prix Nobel de littérature en 1957, sa réputation et son influence restent grandes dans le monde.
Selon Bertrand Poirot-Delpech, les essais sur son œuvre ont abondé juste après sa mort, tandis qu'on rendait très peu compte de sa vie. Les premières biographies ne sont apparues que dix-huit ans après sa mort. Parmi celles-ci, la plus impressionnante est celle de Herbert R. Lottman, un journaliste américain observateur de la littérature européenne pour The New York Times et le Publishers Weekly.
Dans le journal Combat, ses prises de position sont courageuses autant que déconcertantes, aussi bien sur la question de l'Algérie que sur ses rapports avec le Parti communiste qu'il quitte après un court passage de deux ans. Camus est d'abord témoin de son temps, intransigeant, refusant toute compromission. Il est ainsi amené à s'opposer à Sartre et à se brouiller avec d'anciens amis. D'après Herbert R. Lottman, Camus n'appartient à aucune famille politique déterminée, mais on sait tout de même qu'il fut adhérent au Parti communiste algérien pendant deux ans. Il ne s'est cependant dérobé devant aucun combat : il a successivement protesté contre les inégalités qui frappaient les musulmans d'Afrique du Nord, puis contre la caricature du pied-noir exploiteur. Il est allé au secours des espagnols exilés antifascistes, des victimes du stalinisme, des objecteurs de conscience.

Biographie

Origines et enfance

Lucien Auguste Camus, père d'Albert, est né le 28 novembre 1885 à Ouled-Fayet dans le département d'Alger, en Algérie. Il descend des premiers arrivants français dans cette colonie annexée à la France en 1834 et départementalisée en 1848. Un grand-père, Claude Camus, né en 1809, venait du bordelais, un bisaïeul, Mathieu Juste Cormery, d'Ardèche, mais la famille se croit d'origine alsacienne. Lucien Camus travaille comme caviste dans un domaine viticole, nommé « le Chapeau du gendarme », près de Dréan, à quelques kilomètres au sud de Bône (Annaba) dans le département de Constantine, pour un négociant de vin d'Alger. Il épouse le 13 novembre 1909 à Alger (acte de mariage no 932) Catherine Hélène Sintès, née à Birkadem le 5 novembre 1882, dont la famille est originaire de Minorque en Espagne. Trois ans plus tard, en 1911, naît leur fils aîné Lucien Jean Étienne et en novembre 1913, leur second fils, Albert. Lucien Auguste Camus est mobilisé comme 2e classe dans le 1er régiment de zouaves en septembre 1914. Blessé à la bataille de la Marne il est évacué le 11 octobre à l'hôpital militaire de Saint-Brieuc dans les Côtes-du-Nord où il meurt le 17 octobre 1914. De son père, Camus ne connaîtra que quelques photographies et une anecdote significative : son dégoût devant le spectacle d'une exécution capitale. Sa mère est en partie sourde et ne sait ni lire ni écrire : elle ne comprend un interlocuteur qu'en lisant sur ses lèvres. Avant même le départ de son mari à l'armée elle s'était installée avec ses enfants chez sa mère et ses deux frères, Étienne, sourd-muet, qui travaille comme tonnelier, et Joseph, rue de Lyon à Belcourt, un quartier populaire d'Alger1. Elle y connaît une brève liaison à laquelle s'oppose son frère Étienne.
« Il y avait une fois une femme que la mort de son mari avait rendue pauvre avec deux enfants. Elle avait vécu chez sa mère, également pauvre, avec un frère infirme qui était ouvrier. Elle avait travaillé pour vivre, fait des ménages, et avait remis l'éducation de ses enfants dans les mains de sa mère. Rude, orgueilleuse, dominatrice, celle-ci les éleva à la dure », écrira Camus dans un brouillon de « L'Envers et l'endroit ».
Albert Camus est également influencé par son oncle Gustave Acault chez lequel le jeune Albert effectue de longs séjours. Anarchiste l’oncle Acault est aussi voltairien. De plus, il fréquente les loges des francs-maçons. Boucher de métier, Gustave Acault, est un homme cultivé. Il aide Albert Camus à subvenir à ses besoins et lui fournit une bibliothèque riche et éclectique.

Formation

Albert Camus fait ses études à Alger. À l'école communale, il est remarqué en 1923 par son instituteur, Louis Germain, qui lui donne des leçons gratuites et l'inscrit en 1924 sur la liste des candidats aux bourses, malgré la défiance de sa grand-mère qui souhaitait qu'il gagnât sa vie au plus tôt. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale, où est mort le père du futur philosophe, Louis Germain lit à ses élèves Les Croix de Bois de Roland Dorgelès, dont les extraits émeuvent beaucoup le petit Albert, qui y découvre l'horreur de la guerre. Camus gardera une grande reconnaissance à Louis Germain et lui dédiera son discours de prix Nobel. Reçu au lycée Bugeaud (désormais lycée Émir Abd-el-Kader), Albert Camus y est demi-pensionnaire. « J'avais honte de ma pauvreté et de ma famille (...) Auparavant, tout le monde était comme moi et la pauvreté me paraissait l'air même de ce monde. Au lycée, je connus la comparaison », se souviendra-t-il. Il commence à cette époque à pratiquer le football et se fait une réputation de gardien de but. Il découvre également la philosophie. Mais, à la suite d'inquiétants crachements de sang, les médecins diagnostiquent en 1930 une tuberculose et il doit faire un bref séjour à l'hôpital Mustapha. C'est la fin de sa carrière de foot, et il ne peut plus qu'étudier à temps partiel. Son oncle, voltairien et anarchiste, et sa tante Acault, qui tiennent une boucherie dans la rue Michelet, l'hébergent ensuite, rue du Languedoc, où il peut disposer d'une chambre. Camus est ensuite encouragé par Jean Grenier - qui lui fera découvrir Nietzsche. Il resta toujours fidèle au milieu ouvrier et pauvre qui fut longtemps le sien, et son œuvre accorde une réelle place aux travailleurs et à leurs tourments.

Stèle à la mémoire d'Albert Camus érigée en 1961 et gravée par Louis Bénisti face au mont Chenoua à Tipasa près d'Alger : « Je comprends ici ce qu'on appelle gloire le droit d'aimer sans mesure. » (Extrait de l’essai d’Albert Camus, "Noces à Tipaza")

Débuts littéraires

En juin 1934, il épouse Simone Hié, enlevée à son ami Max-Pol Fouchet : « J'ai envie de me marier, de me suicider, ou de m'abonner à L'Illustration. Un geste désespéré, quoi... ». En 1935, il commence l'écriture de L'Envers et l'Endroit, qui sera publié deux ans plus tard par Edmond Charlot dans la librairie duquel se retrouvent les jeunes écrivains algérois, tel Max-Pol Fouchet. Cette même année, il décide de rejoindre le Parti Communiste Français. À Alger, il fonde le Théâtre du Travail, qu'il remplace en 1937 par le Théâtre de l'Équipe, où la première pièce jouée est une adaptation du roman de Malraux dont les répétitions lui donnent l'occasion de nouer une amitié avec Emmanuel Roblès. Dans le même temps il quitte le Parti communiste, auquel il avait adhéré deux ans plus tôt. Il entre au journal créé par Pascal Pia, Alger Républicain, organe du Front populaire, où il devient rédacteur en chef. Son enquête Misère de la Kabylie aura un écho retentissant20. En 1940, le Gouvernement général de l'Algérie interdit le journal. Cette même année, il se marie à Francine Faure. Ils s'installent à Paris où Camus travaille comme secrétaire de rédaction à Paris-Soir sous l'égide de Pascal Pia. Il fonde aussi la revue Rivage et fait la connaissance de Malraux. Durant cette période, il fait paraître le roman L'Étranger (1942) qui est publié par Gallimard sur l'instance de Malraux et l'essai Le Mythe de Sisyphe (1942) dans lesquels il expose sa philosophie. Selon sa propre classification, ces œuvres appartiennent au « cycle de l'absurde » – cycle qu'il complétera par les pièces de théâtre Le Malentendu et Caligula (1944). En 1943, il est lecteur chez Gallimard et prend la direction de Combat lorsque Pascal Pia est appelé à d'autres fonctions dans la Résistance. En 1944, il rencontre André Gide et un peu plus tard Jean-Paul Sartre, avec qui il se lie d'amitié. Le 8 août 1945, il est le seul intellectuel occidental à dénoncer l'usage de la bombe atomique deux jours après le bombardement d'Hiroshima dans un éditorial resté célèbre, dans Combat21. En 1945, à l'initiative de François Mauriac, il signe une pétition, afin de demander au général de Gaulle la grâce de Robert Brasillach, personnalité intellectuelle connue pour son activité collaborationniste pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1946, Camus se lie d'amitié avec René Char. Il part la même année aux États-Unis et, de retour en France, il publie une série d'articles contre l'expansionnisme soviétique : coup d'État de Prague et anathème contre Tito (1948). En 1947, c'est le succès littéraire avec le roman La Peste, suivi deux ans plus tard, en 1949, par la pièce de théâtre Les Justes.
En 1957, alors âgé de 44 ans, Camus reçoit le prix Nobel de littérature pour « l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes. »

Engagement politique et littéraire

En octobre 1951, la publication de L'homme révolté provoque de violentes polémiques où Camus est attaqué à sa gauche. La rupture avec Jean-Paul Sartre a lieu en 1952, après la publication dans Les Temps modernes de l'article de Jeanson qui reproche à la révolte de Camus d'être « délibérément statique ». En 1954, Camus s'installe dans son appartement parisien du 4, rue de Chanaleilles. dans le même immeuble et durant la même période, habitait René Char, poète et résistant français. En 1956, à Alger, il lance son « Appel pour la trêve civile », tandis que dehors sont proférées à son encontre des menaces de mort. Son plaidoyer pacifique pour une solution équitable du conflit est alors très mal compris, ce qui lui vaudra de rester méconnu de son vivant par ses compatriotes pieds-noirs en Algérie puis, après l'indépendance, par les Algériens qui lui ont reproché de ne pas avoir milité pour cette indépendance. Haï par les défenseurs du colonialisme français, il sera forcé de partir d'Alger sous protection. Toujours en 1956, il publie La Chute, livre pessimiste dans lequel il s'en prend à l'existentialisme sans pour autant s'épargner lui-même. Il démissionne de l'Unesco pour protester contre l'admission de l'Espagne franquiste. C'est un an plus tard, en 1957, qu'il reçoit le prix Nobel de littérature. Interrogé à Stockholm par un étudiant musulman originaire d'Algérie, sur le caractère juste de la lutte pour l'indépendance menée par le F.L.N. en dépit des attentats terroristes frappant les populations civiles, il répond clairement : « J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.» Cette phrase, souvent déformée, lui sera souvent reprochée. Il suffit pourtant de rappeler d'une part que Camus vénérait sa mère, d'autre part que celle-ci vivait alors à Alger dans un quartier très populaire particulièrement exposé aux risques d'attentats.
Albert Camus était contre l'indépendance de l'Algérie et écrivit en 1958 dans la dernière de ses Chroniques Algériennes que « l'indépendance nationale [de l'Algérie] est une formule purement passionnelle ». Il dénonça néanmoins l'injustice faite aux musulmans et la caricature du pied noir exploiteur, et disait souhaiter la fin du système colonial mais avec une Algérie toujours française, proposition qui peut paraître contradictoire.
Pour ce qui est du communisme, il proteste contre la répression sanglante des révoltes de Berlin-Est (juin 1953) et contre l'expansionnisme communiste à Budapest (septembre 1956).

Décès

Le 4 janvier 1960, en revenant de Lourmarin (Vaucluse), par la Nationale 6 (trajet de Lyon à Paris), au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l’Yonne, Albert Camus trouve la mort dans un accident de voiture à bord d'une Facel-Vega FV3B conduite par son ami Michel Gallimard, le neveu de l'éditeur Gaston, qui perd également la vie. La voiture quitte la route et percute un premier arbre puis s'enroule autour d'un second, parmi la rangée qui la borde. Les journaux de l'époque évoquent une vitesse excessive (180 km/h), un malaise du conducteur, ou plus vraisemblablement, l'éclatement d'un pneu. L'écrivain René Étiemble déclara : « J'ai longtemps enquêté et j'avais les preuves que cette Facel Vega était un cercueil. J'ai cherché en vain un journal qui veuille publier mon article... »

Monument en hommage à Albert Camus dans la petite ville de Villeblevin, commune où il est décédé d'un accident de voiture le 4 janvier 1960

La plaque de bronze sur le même monument
Albert Camus est enterré à Lourmarin, village du Luberon - où il avait acheté une propriété grâce à son prix Nobel - et région que lui avait fait découvrir son ami le poète René Char.
En marge des courants philosophiques, Albert Camus s'est opposé au marxisme et à l'existentialisme. Il n'a cessé de lutter contre toutes les idéologies et les abstractions qui détournent de l'humain. En ce sens, il incarne une des plus hautes consciences morales du XXe siècle - l'humanisme de ses écrits ayant été forgé dans l'expérience des pires moments de l'espèce humaine.
Depuis le 15 novembre 2000, les archives de l'auteur sont déposées à la bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence), dont le centre de documentation Albert Camus assure la gestion et la valorisation.
Le 19 novembre 2009, le quotidien Le Monde affirme que le président Nicolas Sarkozy envisage de faire transférer les restes d'Albert Camus au Panthéon. Dès le lendemain, son fils, Jean Camus, s'oppose à ce transfert, craignant une récupération politique. Sa fille, Catherine Camus, ne se prononce pas.

Philosophie

Une question, l'absurde

« L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde ». Dans cette phrase est concentrée la puissance d'un conflit, d'une confrontation qui supporte et emporte l'œuvre de Camus. Deux forces qui s'opposent : l'appel humain à connaître sa raison d'être et l'absence de réponse du milieu où il se trouve. L'homme vivant dans un monde dont il ne comprend pas le sens, dont il ignore tout, jusqu'à sa raison d'être.
L'appel humain, c'est la quête d'une cohérence, or pour Camus il n'y a pas de réponse à ce questionnement sur le sens de la vie. Tout au moins n'y a-t-il pas de réponse satisfaisante, car la seule qui pourrait satisfaire l'écrivain devrait avoir une dimension humaine : « Je ne puis comprendre qu'en termes humains ». Ainsi les religions qui définissent nos origines, qui créent du sens, qui posent un cadre, n'offrent pas de réponse pour l'homme absurde : « Je ne sais pas si ce monde a un sens qui le dépasse. Mais je sais que je ne connais pas ce sens et qu'il m'est impossible pour le moment de le connaître. Que signifie pour moi une signification hors de ma condition ?  ». L'homme absurde n'accepte pas de perspectives divines, il veut des réponses humaines.

Sisyphe, par Franz von Stuck, 1920

L'absurde n'est pas un savoir, c'est un état acquis par la confrontation consciente de deux forces. Maintenir cet état demande une lucidité et nécessite un travail, l'absurde c'est la conscience toujours maintenue d'une « fracture entre le monde et mon esprit » écrit Camus dans Le Mythe de Sisyphe. Ainsi l'homme absurde doit s'obstiner à ne pas écouter les prophètes (c'est-à-dire avoir assez d'imagination pour ne pas croire aveuglément à leur représentation de l'enfer ou du paradis) et à ne faire intervenir que ce qui est certain, et si rien ne l'est, « ceci du moins est une certitude ».
L'homme absurde ne pourrait s'échapper de son état qu'en niant l'une des forces contradictoires qui le fait naître : trouver un sens à ce qui est ou faire taire l'appel humain. Or aucune de ces solutions n'est réalisable.
Une manière de donner du sens serait d'accepter les religions et les dieux. Or ces derniers n'ont pas d'emprise sur l'homme absurde. L'homme absurde se sent innocent, il ne veut faire que ce qu'il comprend et « pour un esprit absurde, la raison est vaine et il n'y a rien au-delà de la raison ».
Une autre manière de trouver du sens serait d'en injecter : faire des projets, établir des buts, et par là même croire que la vie puisse se diriger. Mais à nouveau « tout cela se trouve démenti d'une façon vertigineuse par l'absurdité d'une mort possible ». En effet, pour l'homme absurde il n'y a pas de futur, seul compte l'ici et le maintenant.
La première des deux forces contradictoires, le silence déraisonnable du monde, ne peut donc être niée. Quant à l'autre force contradictoire permettant cette confrontation dont naît l'absurde, qui est l'appel humain, la seule manière de la faire taire serait le suicide. Mais ce dernier est exclu car à sa manière « le suicide résout l'absurde ». Or l'absurde ne doit pas se résoudre. L'absurde est générateur d'une énergie. Et ce refus du suicide, c'est l'exaltation de la vie, la passion de l'homme absurde. Ce dernier n'abdique pas, il se révolte.

Une réponse, la révolte

Oui, il faut maintenir l'absurde, ne pas tenter de le résoudre, car l'absurde génère une puissance qui se réalise dans la révolte. La révolte, voici la manière de vivre l'absurde. La révolte c'est connaître notre destin fatal et néanmoins l'affronter, c'est l'intelligence aux prises avec le silence déraisonnable du monde, c'est le condamné à mort qui refuse le suicide. C'est pourquoi Camus écrit : « L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte ».
La révolte c'est aussi s'offrir un énorme champ de possibilités d'actions, car si l'homme absurde se prive d'une vie éternelle, il se libère des contraintes imposées par un improbable futur et y gagne en liberté d'action. Plus le futur se restreint et plus les possibilités d'actions « hic et nunc » sont grandes. Et ainsi l'homme absurde jouit d'une liberté profonde. L'homme absurde habite un monde dans lequel il doit accepter que « tout l'être s'emploie à ne rien achever», mais un monde dont il est le maître. Et à Camus, qui fait de Sisyphe le héros absurde, d'écrire : « Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Bien que Camus réfute les religions parce que « on n'y trouve aucune problématique réelle, toutes les réponses étant données en une fois», et qu'il n'accorde aucune importance au futur : « il n'y a pas de lendemain», sa révolte n'en est pas pour autant amorale. « La solidarité des hommes se fonde sur le mouvement de révolte et celui-ci, à son tour, ne trouve de justification que dans cette complicité ». Tout n'est pas permis dans la révolte, la pensée de Camus est humaniste, les hommes se révoltent contre la mort, contre l'injustice et tentent de « se retrouver dans la seule valeur qui puisse les sauver du nihilisme, la longue complicité des hommes aux prises avec leur destin ».
En effet, Camus pose à la révolte de l'homme une condition : sa propre limite. La révolte de Camus n'est pas contre tous et contre tout. Et Camus d'écrire : « La fin justifie les moyens ? Cela est possible. Mais qui justifie la fin ? À cette question, que la pensée historique laisse pendante, la révolte répond : les moyens ».

Entre journalisme et engagement

Roger Quilliot appelle ce volet de la vie de Camus La plume et l'épée, plume qui lui a servi d'épée symbolique mais sans exclure les actions qu'il mena tout au long de sa vie (voir par exemple le chapitre suivant). Camus clame dans Lettres à un ami allemand son amour de la vie : « Vous acceptez légèrement de désespérer et je n'y ai jamais consenti » confessant « un goût violent de la justice qui me paraissait aussi peu raisonné que la plus soudaine des passions. » Il n'a pas attendu la résistance pour s'engager. Il vient du prolétariat et le revendiquera toujours, n'en déplaise à Sartre; la première pièce qu'il joue au Théâtre du Travail, Révolte dans les Asturies, évoque déjà la lutte des classes.
Il va enchaîner avec l'adhésion au Parti communiste et son célèbre reportage sur la misère en Kabylie paru dans Alger-Républicain. Il y dénonce « la logique abjecte qui veut qu'un homme soit sans forces parce qu'il n'a pas de quoi manger et qu'on le paye moins parce qu'il est sans forces.» Les pressions qu'il subit alors vont l'obliger à quitter l'Algérie mais la guerre et la maladie vont le rattraper. Malgré cela, il va se lancer dans la résistance.
Bien qu'il écrive dans Combat et lutte pour des causes auxquelles il croit, Camus éprouve une certaine lassitude. Ce qu'il veut, c'est pouvoir concilier justice et liberté, lutter contre toutes les formes de violence, défendre la paix et la coexistence pacifique, combattre à sa façon pour résister, contester, dénoncer.

Albert Camus et l'Espagne

Les origines espagnoles de Camus s'inscrivent aussi bien dans son œuvre, des Carnets à Révolte dans les Asturies ou L’état de siège, par exemple, que dans ses adaptations de La Dévotion à la Croix (Calderon de la Barca) ou Le Chevalier d'Olmedo (Lope de Vega). Comme journaliste, ses prises de position, sa lutte permanente contre le franquisme, se retrouvent dans de nombreux articles depuis Alger républicain en 1938, des journaux comme Combat bien sûr mais aussi d'autres moins connus, Preuves ou Témoins, où il défend ses convictions, affirme sa volonté d'engagement envers une Espagne libérée du joug franquiste, lui qui écrira « Amis espagnols, nous sommes en partie du même sang et j'ai envers votre patrie, sa littérature et son peuple, sa tradition, une dette qui ne s'éteindra pas. »  C'est la profession de foi d'un homme qui est constamment resté fidèle « à la beauté comme aux humiliés.»

La Peste d'Albert Camus

Résumé

La Peste est publié en 1947 et vaut à Albert Camus son premier grand succès de librairie : 161.000 exemplaires vendus dans les deux premières années. Ce roman s'est vendu, depuis, à plus de 5 millions d'exemplaires , toutes éditions françaises confondues.
La Peste est bâti comme une tragédie en cinq actes. L'action se situe en avril 194. à Oran,  une ville "fermée" qui "tourne le dos à la mer".

Première partie

Oran, un jour d'avril 194., le docteur Rieux découvre le cadavre d'un rat sur son palier. Le concierge, monsieur Michel, pense que ce sont des mauvais plaisants qui s'amusent à déposer ces cadavres de rats dans son immeuble. A midi, Rieux accompagne à la gare son épouse qui, malade, part se soigner dans une ville voisine. Quelques jours plus tard, une agence de presse annonce que plus de six mille rats ont été ramassés le jour même. L'angoisse s'accroît . Quelques personnes commencent à émettre quelques récriminations contre la municipalité. Puis , soudainement, le nombre de cadavres diminue, le rues retrouvent leur propreté, la ville se croit sauvée.
Monsieur Michel, le concierge de l'immeuble de Rieux, tombe malade. Le docteur Rieux essaye de le soigner. Sa maladie s'aggrave rapidement. Rieux ne peut rien faire pour le sauver. Le concierge succombe à un mal violent et mystérieux.
Rieux est sollicité par Grand, un employé de la mairie. Il vient d'empêcher un certain Cottard de se suicider. Les morts se multiplient. Rieux consulte ses confrères. Le vieux Castel, l'un d'eux, confirme ses soupçons : il s'agit bien de la peste. Après bien des réticences et des tracasseries administratives, Rieux parvient à ce que les autorités prennent conscience de l'épidémie et se décident à "fermer" la ville.

Deuxième partie

La ville s'installe peu à peu dans l'isolement. L'enfermement et la peur modifient les comportements collectifs et individuels : " la peste fut notre affaire à tous", note le narrateur.
Les habitants doivent composer avec l'isolement aussi bien à l'extérieur de la ville qu'à l'intérieur. Ils éprouvent des difficultés à communiquer avec leurs parents ou leurs amis qui sont à l'extérieur. Fin juin, Rambert, un journaliste parisien séparé de sa compagne , demande en vain l'appui de Rieux pour regagner Paris. Cottard, qui avait, en avril, pour des raisons inconnues tenté de se suicider , semble éprouver une malsaine satisfaction dans le malheur de ses concitoyens. Les habitants d'Oran tentent de compenser les difficultés de la séquestration, en s'abandonnant à des plaisirs matériels. Grand , employé de la mairie, se concentre sur l'écriture d'un livre dont il réécrit sans cesse la première phrase. Le père Paneloux fait du fléau l'instrument du châtiment divin et appelle ses fidèles à méditer sur cette punition adressée à des hommes privés de tout esprit de charité.
Tarrou, fils d'un procureur et étranger à la ville, tient dans ses carnets sa propre chronique de l'épidémie . Lui ne croit qu'en l'homme. Il fait preuve d'un courage ordinaire et se met à disposition de Rieux pour organiser le service sanitaire. Rambert les rejoint.

Troisième partie

C'est l'été, la tension monte et l'épidémie redouble. Il y a tellement de victimes qu'il faut à la hâte les jeter dans la fosse commune , comme des animaux. La ville est obligée de réprimer des soulèvements et les pillages. Les habitants semblent résignés . Ils donnent l'impression d'avoir perdu leurs souvenirs et leur espoir . Ils n'ont plus d'illusion et se contentent d'attendre...

Quatrième partie

Cette partie se déroule de septembre à décembre. Rambert a eu l'opportunité de quitter la ville, mais il renonce à partir. Il est décidé à lutter jusqu'au bout aux côtés de Rieux et de Tarrou. L'agonie d'un jeune enfant, le fils du juge Othon et les souffrances qu'éprouvent ce jeune innocent ébranlent Rieux et troublent les certitudes de l'abbé Paneloux. L'abbé se retranche dans la solitude de sa foi, et meurt sans avoir sollicité de médecin, en serrant fiévreusement contre lui un crucifix. Tarrou et Rieux , connaissent un moment de communion amicale en prenant un bain d'automne dans la mer . A Noël, Grand tombe malade et on le croit perdu. Mais , il guérit sous l'effet d'un nouveau sérum. Des rats, réapparaissent à nouveau, vivants.

Cinquième partie

C'est le mois de janvier et le fléau régresse. Il fait pourtant de dernières victimes: Othon, puis Tarrou qui meurt, serein au domicile de Rieux. Il confie ses carnets au docteur. Depuis que l'on a annoncé la régression du mal, l'attitude de Cottard a changé. Il est arrêté par la police après une crise de démence
Un télégramme arrive chez Rieux : sa femme est morte.
A l'aube d'une belle matinée de février, les portes de la ville s'ouvrent enfin . Les habitants, libérés savourent mais ils n'oublient pas cette épreuve "qui les a confrontés à l'absurdité de leur existence et à la précarité de la condition humaine."
On apprend l'identité du narrateur: c'est Rieux qui a voulu relater ces événements avec la plus grande objectivité possible. Il sait que le virus de la peste peut revenir un jour et appelle à la vigilance.

La Peste. Commentaire composé d´un extrait. 

L'extrait de la Peste que nous étudions ici, relate une scène à l'Opéra municipal, qui sert de mise en abîme dans l'ensemble du roman. Le narrateur utilise les notes de Tarrou pour relater cette représentation.

Texte étudié : La représentation d'Orphée et Eurydice



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"Pendant tout le premier acte, Orphée se plaignit avec facilité, quelques femmes en tunique commentèrent avec grâce son malheur, et l’amour fut chanté en ariettes. La salle réagit avec une chaleur discrète. C’est à peine si on remarqua qu’Orphée introduisait, dans son air du deuxième acte, des tremblements qui n’y figuraient pas, et demandait avec un léger excès de pathétique, au maître des Enfers, de se laisser toucher par ses pleurs. Certains gestes saccadés qui lui échappèrent apparurent aux plus avisés comme un effet de stylisation qui ajoutait encore à l’interprétation du chanteur.

Il fallut le grand duo d’Orphée et d’Eurydice au troisième acte (c’était le moment où Eurydice échappait à son amant) pour qu’une certaine surprise courût dans la salle. Et comme si le chanteur n’avait attendu que ce mouvement du public, ou, plus certainement encore, comme si la rumeur venue du parterre l’avait confirmé dans ce qu’il ressentait, il choisit ce moment pour avancer vers la rampe d’une façon grotesque, bras et jambes écartés dans son costume à l’antique, et pour s’écrouler au milieu des bergeries du décor qui n’avaient jamais cessé d’être anachroniques mais qui, aux yeux des spectateurs, le devinrent pour la première fois, et de terrible façon.
 
Car, dans le même temps, l’orchestre se tut, les gens du parterre se levèrent et commencèrent lentement à évacuer la salle, d’abord en silence comme on sort d’une église, le service fini, ou d’une chambre mortuaire après une visite, les femmes rassemblant leurs jupes et sortant tête baissée, les hommes guidant leurs compagnes par le coude et leur évitant le heurt des strapontins. Mais, peu à peu, le mouvement se précipita, le chuchotement devint exclamation et la foule afflua vers les sorties et s’y pressa, pour finir par s’y bousculer en criant.
 
Cottard et Tarrou, qui s’étaient seulement levés, restaient seuls en face d’une des images de ce qui était leur vie d’alors : la peste sur la scène sous l’aspect d’un histrion désarticulé et, dans la salle, tout un luxe devenu inutile sous la forme d’éventails oubliés et de dentelles traînant sur le rouge des fauteuils."

La Peste est un roman  d’Albert Camus publié en 1947 qui permit en partie à son auteur de remporter le prix Nobel en 1957. Il a pour théâtre Oran, durant la période de l’Algérie française. L’histoire se déroule dans les années 1940. Le roman raconte sous forme de chronique la vie quotidienne des habitants, pendant une épidémie de peste qui frappe la ville et la coupe du monde extérieur.

Cet extrait se situe au milieu du roman ; la ville d’Oran a été fermée par les autorités à cause de la  peste. Des couples et des familles sont séparés puisque nul ne peut entrer ni sortir de la ville. Une troupe d’opéra, venue jouer l’Orphée de Gluck, est contrainte de rester à Oran et donne un spectacle une fois par semaine. Ce passage raconte la dernière représentation.
 
Après avoir précisé son statut, nous monterons comment le narrateur amène la révélation finale, comment le "réel" fait irruption dans la fiction et en quoi cet extrait constitue un "Manifeste".

Le narrateur est externe, « omniscient » et omniprésent, notamment à travers la figure de l'ironie ("Orphée se plaignit avec facilité", "quelques femmes en tunique commentèrent avec grâce son malheur") ; les événements sont perçus à travers le regard des spectateurs (focalisation interne), mais le narrateur en sait davantage que les spectateurs, par exemple que les gestes saccadés du chanteur ne sont pas dus à un effet stylistique.

Le narrateur dispose,  tout au long du texte des « indices » de plus en plus éloquents, mais ce n’est qu’à la fin du texte, dans le dernier paragraphe, qu’il écrit le mot  « peste ». Le lecteur est alors amené à relire et à réinterpréter le texte à la lumière de l’explication finale.

Le champ lexical du théâtre est présent tout au long du texte et forme un réseau (on parle d’isotopie). Les  termes se rapportent  à l’œuvre, aux acteurs et au jeu (« stylisation », « grand duo », « troisième acte », « histrion »), à la mise en scène (« costumes », « bergerie », « décor »), au théâtre  (« salle », « rampe », « strapontins », « sorties », « scène », « fauteuils »), aux spectateurs (« public », « éventails », dentelles »)

Le comportement du chanteur qui interprète Orphée est présenté au début du texte comme légèrement étrange (« C’est à peine si l’on remarqua », « un léger excès de pathétique »), mais les « gestes saccadés » qui lui échappent apparaissent aux « spectateurs les plus avisés » comme un effet de stylisation, c’est-à-dire comme faisant partie de son jeu.

Le narrateur introduit dans le deuxième paragraphe de nouveaux « indices d’anomalie » : « pour qu’une une certaine surprise courût dans la salle », « « la rumeur venue du parterre », indices de plus en plus explicites, mais sans que l’explication soit donnée : « il choisit ce moment pour avancer vers la rampe d’une façon grotesque, bras et jambes écartés dans son costume à l’antique, et pour s’écrouler au milieu des bergeries du décor qui n’avaient jamais cessé d’être anachroniques (sous-entendu « aux yeux du narrateur ») mais qui, aux yeux du spectateur, le devinrent pour la première fois, et de terrible façon. »

La réaction des spectateurs et l’expression « le devinrent pour la première fois et de terrible façon » montre qu’ils ont compris et le narrateur évoque le départ du public à l’aide de comparaisons relevant du champ lexical des funérailles (« comme on sort d’une église », ou d’une chambre mortuaire », « tête baissée »)

Le départ des spectateurs tourne à la panique (« pour finir par s’y bousculer en criant »)

Ce n’est qu’au troisième paragraphe que le narrateur donne l’explication, le fin mot de l’histoire (« la peste »)

La « réalité » de la peste fait donc irruption  dans la fiction théâtrale. Elle subvertit les conventions théâtrales en exhibant brutalement le caractère artificiel et dérisoire du spectacle, le chanteur en costume antique et  les bergeries anachroniques. Il ne faut cependant pas oublier qu’il s’agit là d’une « mise en abyme » et que nous restons à l’intérieur d’une autre convention, la convention romanesque qui relève, elle aussi de la fiction.

Aède  mythique de Thrace, fils du roi Œagre  et de la muse Calliope ou de Polymnie, Orphée  savait par les accents de sa lyre charmer les animaux sauvages et parvenait à émouvoir les êtres inanimés. Héros voyageur, il participa à l'expédition des Argonautes.
 
Son épouse, Eurydice (une dryade), lors de leur mariage, fut mordue au pied par un serpent. Elle mourut et descendit au royaume des Enfers.
 
Après avoir endormi Cerbère, le monstrueux chien à trois têtes qui en gardait l'entrée de sa musique enchanteresse, et les terribles Euménides, il réussit à approcher le dieu Hadès.
 
Il parvint, grâce à sa musique, à le faire fléchir, et celui-ci le laissa repartir avec sa bien-aimée à la condition qu'elle le suivrait et qu'il ne se retournerait ni ne lui parlerait tant qu'ils ne seraient pas revenus tous deux dans le monde des vivants.
 
Mais au moment où ils s'apprêtaient à sortir des Enfers, Orphée, inquiet de son silence, ne put s'empêcher de se retourner vers Eurydice et celle-ci lui fut retirée définitivement.
 
La légende d’Orphée et d’Eurydice prend une signification particulière dans le contexte du roman : l’épidémie de peste qui sévit à Oran. La séparation d'Orphée et d'Euridyce symbolise la séparation des familles et des couples, personne ne pouvant entrer dans la ville, ni en sortir ; les spectateurs se sont rendus au spectacle comme à un rituel pour exorciser leur peur et pour oublier leurs soucis et ne pas penser à la mort (thème pascalien du "divertissement") et comme si le théâtre était un espace sacré, en dehors du réel, au seuil duquel l’épidémie s’arrêtait.
 
Le narrateur se réfère implicitement à la notion de  « catharsis » qui, selon le philosophe grec Aristote est l’essence-même du théâtre :
 
« Nous voyons ces mêmes personnes, quand elles ont eu recours aux mélodies qui transportent l'âme hors d'elle-même, remises d'aplomb comme si elles avaient pris un remède et une purgation. C'est à ce même traitement dès lors que doivent être nécessairement soumis à la fois ceux qui sont enclins à la pitié et ceux qui sont enclins à la terreur, et tous les autres qui, d'une façon générale, sont sous l'empire d'une émotion quelconque pour autant qu'il y a en chacun d'eux tendance à de telles émotions, et pour tous il se produit une certaine purgation et un allégement accompagné de plaisir. Or, c'est de la même façon aussi que les mélodies purgatrices procurent à l'homme une joie inoffensive. » (Politique, Livre I)
 
Les spectateurs se purifient de leurs « passions » en éprouvant de la pitié et de la terreur devant le spectacle du « héros souffrant », mais ce phénomène ne peut fonctionner qu’à l’intérieur d'un "dispositif fictionnel" continu ; l’irruption du réel dans la fiction rend la catharsis inopérante et apporte à l'illusion des spectateurs un cruel démenti.

Cottard est l’un des personnages principaux du roman. Après avoir tenté de se suicider, il semble éprouver du plaisir dans le malheur des habitants. Tarrou lutte, quant à lui,  avec acharnement contre la peste  aux côtés du docteur Rieux. Cottard et Tarrou représentent deux attitudes opposées face au Mal : le cynisme et le refus et ce n'est pas un hasard s'ils apparaissent ensemble à cet endroit du roman. L'épidémie finira par régresser grâce à un vaccin mis au point par Castel.
 
La grande leçon du roman est qu'il convient de se battre contre le Mal, et d'adhérer à la dévise de Guillaume d'Orange, reprise par la Résistance française, "il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer."

Ce texte qui prend place au milieu du roman constitue une interrogation sur le statut de l’œuvre littéraire et théâtrale, son sens et ses enjeux. Le texte débute par un commentaire ironique du narrateur : « Pendant tout le premier acte, Orphée se plaignit avec facilité, quelques femmes en tunique commentèrent avec grâce son malheur, et l’amour fut chanté en ariettes. La salle réagit avec une chaleur discrète. » qui souligne le caractère artificiel, « anachronique » et dérisoire du spectacle.
 
Albert Camus, proche des conceptions esthétiques et dramaturgiques de Jean Vilar, créateur du festival d'Avignon, est partisan d'un théâtre populaire et accessible et souhaite réduire le spectacle au jeu des acteurs en évitant de faire du plateau un "carrefour des arts" (peinture, architecture, musique, machinerie, etc.)
 
Cette conception du théâtre n'est pas non plus sans faire penser au "théâtre de la cruauté" d'Antonin Artaud, bien que la conception d'Artaud soit plus métaphysique que politique ou éthique : "Poursuivant sa quête d'un théâtre du rêve et du grotesque, du risque et de la mise en danger, Artaud écrit successivement deux manifestes du Théâtre de la Cruauté : « Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n'est pas possible. Dans l'état de dégénérescence où nous sommes c'est par la peau qu'on fera rentrer la métaphysique dans les esprits. » (1932). Le 6 avril 1933, paraît un recueil de textes sous le titre Le Théâtre et son double dont Le Théâtre et la peste, texte d'une conférence littéralement incarnée, plus que prononcée, Artaud jouant les dernières convulsions d'un pestiféré devant une assistance atterrée puis hilare."

Il ne s’agit pas pour le narrateur, porte-parole de l’auteur, d’opposer « le réel » (la peste) à l’imaginaire (la représentation d’un opéra), mais d’exprimer implicitement une certaine conception de la fonction de la littérature et du théâtre (Albert Camus était à la fois un auteur de romans, un dramaturge et un metteur en scène : Caligula, Les Justes) ; loin d’être un pur « divertissement », au sens pascalien du terme permettant au spectateur et au lecteur de s’évader du monde réel,  la littérature et le théâtre se doivent de rendre compte du réel et des grands enjeux existentiels, métaphysiques  et politiques, de développer le sens de la vérité et de la justice et d'inciter à la réflexion et à l'engagement. 


Sources bibliographiques:
Véronique Anglard , La Peste d'Albert Camus (Nathan)
Kléber Haedens  Une Histoire de la Littérature française, Grasset 1970
Dictionnaire des Grandes Oeuvres de la Littérature française, Jean-Pierre de Beaumarchais, Daniel Couty (Editions larousse)

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