Gustave Doré

Gustave Doré
"Personne ne parle le francophone, ni n'écrit en francophone. La francophonie est de la lumière d'étoile morte. Comment le monde pourrait-il se sentir concerné par la langue d'un pays virtuel ?" Manifeste pour une littérature-monde, 2007

viernes, 5 de octubre de 2012

IONESCO- LA CANTATRICE CHAUVE


Eugène Ionesco, né Eugen Ionescu le 26 novembre 1909 à Slatina (Roumanie) et mort le 28 mars 1994 à Paris, est un dramaturge et écrivain roumain et français. Il passe la majeure partie de sa vie à voyager entre la France et la Roumanie. Représentant du théâtre de l'absurde, il écrit de nombreuses œuvres dont les plus connues sont La Cantatrice chauve, Les Chaises ou bien encore Rhinocéros.

Biographie

Enfance et jeunesse

Eugène Ionesco est le fils d'un juriste roumain travaillant dans l'administration royale. Sa mère est la fille d'un ingénieur français des chemins de fer qui a grandi en Roumanie. En 1913, la jeune famille émigre à Paris où le père veut passer un doctorat. Quand, en 1916, la Roumanie déclare la guerre à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie, le père revient au pays, coupant rapidement tous les liens avec sa famille qui le croira mort à la guerre ; à Bucarest, il obtient le divorce et se remarie.
Restés à Paris, Ionesco et sa jeune sœur Marilina sont élevés par leur mère qui les fait vivre comme elle peut, grâce à des travaux occasionnels et à l'aide de leur famille française. Eugène est placé dans un foyer d'enfants auquel il ne peut s'habituer. Aussi, de 1917 à 1919, sa sœur et lui sont confiés à une famille de paysans de La Chapelle-Anthenaise, un village proche de Laval (Mayenne). Cette période restera dans son souvenir comme un temps très heureux.
En 1925, le frère et la sœur retournent chez leur père à Bucarest où ils apprennent le roumain. Leur père a obtenu leur garde mais ils ne trouvent aucune sympathie chez leur belle-mère restée sans enfant. En 1926, Ionesco se fâche avec son père, apparemment très autoritaire, et qui n'a que du mépris pour l'intérêt que son fils porte à la littérature : il aurait voulu en faire un ingénieur. Ionesco entretiendra une relation exécrable avec ce père opportuniste et tyrannique. Ce même père, magistrat, se rangera tout au long de sa vie du côté du pouvoir, et adhérera successivement au nazisme puis au communisme. Ionesco n'acceptera jamais le manque d'amour et le rejet infligés par son père.
Il retourne chez sa mère, revenue elle aussi en Roumanie, et trouve un poste à la banque d'État roumaine. En 1928, il commence des études de français à Bucarest et fait la connaissance d'Émile Michel Cioran et de Mircea Eliade, ainsi que de sa future femme, Rodica Burileanu, une étudiante en philosophie et en droit appartenant à une famille roumaine influente. Parallèlement, il lit et écrit beaucoup de poésies, de romans et de critiques littéraires en roumain. Après avoir terminé ses études en 1934, il enseigne le français dans différentes écoles et dans d'autres lieux de formation, puis se marie en 1936.

Les années difficiles avant, pendant et après la guerre

En 1938, Ionesco reçoit de l'institut de français à Bucarest une bourse afin de préparer une thèse de doctorat sur les thèmes du péché et de la mort dans la poésie moderne depuis Baudelaire, ce qui lui permet d'échapper à l'atmosphère étouffante d'une Roumanie nationaliste qu'il supporte mal. De Paris, il fournit des informations aux revues roumaines sur les évènements littéraires de la capitale.
Après la défaite de la France lors de la guerre-éclair (le Blitzkrieg) de mai-juin 1940, lui et sa femme rentrent en Roumanie. En août 1940, le pays a dû céder le Nord de la Transylvanie à la Hongrie et la Bessarabie à l'Union soviétique, mais il peut rester en paix. Considéré comme ressortissant roumain, Ionesco doit passer le conseil de révision, mais n'est pas incorporé dans l'armée.
Tout change après l'alliance de la Roumanie avec l'Allemagne et son entrée en guerre contre l'Union soviétique ; cette fois, Ionesco préfère revenir en France en mai 1942. C'est à présent la France qui est plus calme et il y reste définitivement avec son épouse, d'abord à Marseille, puis à Paris. C'est là que naît leur unique enfant Marie-France le 26 août 1944. Le couple connaît alors une période de grande gêne financière ; Ionesco entre comme correcteur au service d'une maison parisienne d'édition juridique et y reste jusqu'en 1955.

La lente ascension


En 1947, inspiré par les phrases d'exercices de L'Anglais sans peine de la méthode Assimil, Ionesco conçoit sa première pièce La Cantatrice chauve, qui est jouée en 1950 et à défaut d'attirer immédiatement le public, retient l'attention de plusieurs critiques, du Collège de 'Pataphysique, et de plusieurs amateurs de littérature, comme son amie Monica Lovinescu. En 1950, il prend la nationalité française. Il continue d'écrire des pièces, comme La Leçon (représentée en 1951) et Jacques ou la soumission qui font de lui un auteur de théâtre français à part entière et un des dramaturges les plus importants du théâtre de l'absurde — même s'il ne cessera de réfuter ce terme, trop réducteur à ses yeux.
En 1951, suivent Les Chaises, Le Maître et L'avenir est dans les œufs. En 1952 il a l'idée de Victimes du devoir, l'une de ses pièces les plus autobiographiques. La même année voit la reprise de La Cantatrice chauve et de La Leçon. 1953 est l'année de la reconnaissance : Victimes du devoir est représentée pour la première fois, accompagnée d'une série de sept sketches, et reçoit un accueil favorable. Le premier recueil en un volume de ses pièces est imprimé. Ionesco rédige encore Amédée ou Comment s'en débarrasser et Le Nouveau Locataire.
Ionesco est alors reconnu comme un auteur jouant spirituellement avec l'absurde et parvient presque à vivre de ses pièces. En 1954, il écrit Le Tableau et le récit Oriflamme, et il fait à Heidelberg son premier voyage de conférences à l'étranger. En 1955 il rédige L'Impromptu de l'Alma et voit jouer pour la première fois une de ses pièces à l'étranger (Le Nouveau Locataire). En 1957, il devient Satrape du Collège de 'Pataphysique. La Cantatrice chauve et La Leçon reçoivent une nouvelle mise en scène au petit théâtre de la Huchette à Paris ; elles figurent depuis lors sans interruption au programme de cette salle.

Les années à succès

Pendant l'hiver 1958-1959, Ionesco développe la pièce Tueur sans gages à partir du récit Oriflamme.
En automne 1959, paraît chez Gallimard Rhinocéros, nouvelle pièce dans laquelle Ionesco manifeste son effroi devant toutes les formes de totalitarisme : cette pièce (Rhinocéros) reprend, avec de légères modifications, l'action et les personnages de la nouvelle de même nom qui avait été écrite antérieurement (la nouvelle en question sera ultérieurement incorporée (1962) au recueil La Photo du colonel).
La pièce est représentée pour la première fois dans une traduction allemande le 6 novembre 1959 au Schauspielhaus de Düsseldorf, où le public acclame la critique du nazisme.
La pièce est créée dans sa version française à Paris à l'Odéon-Théâtre de France le 22 janvier 1960 dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault et des décors de Jacques Noël : pour Ionesco, c'est la consécration.
En avril 1960, Rhinocéros est monté à Londres au Royal Court Theatre dans une mise en scène d'Orson Welles avec Laurence Olivier dans le rôle de Bérenger.
En 1961-1962, naît Le roi se meurt, une réflexion sur la mort ; en 1962, c'est Délire à deux et Le Piéton de l'air (d'après la nouvelle, cf. le recueil La Photo du colonel).
En 1962 également, paraît sous le titre Notes et contre-notes une collection d'articles et de conférences de Ionesco sur son théâtre. En 1964, Düsseldorf est une fois de plus témoin d'une première de Ionesco : La Soif et la faim. Pour la première fois la même année, une de ses pièces, Rhinocéros est mise en scène dans son pays natal, la Roumanie.

Les dernières décennies

Un peu malgré lui, Ionesco entrait maintenant dans le personnage de l'écrivain établi, invité à des conférences, comblé des prix et d'honneurs (« Au pluriel, au pluriel », disait Péguy) et accédait en 1970 à l'Académie française, élu au fauteuil de Jean Paulhan, qui avait été l'un de ses plus précieux soutiens durant les années 1950. Dans la dernière partie de sa vie, il s'essaya également au genre romanesque et termina en 1973 Le Solitaire, où un personnage à la fois marginal et insignifiant passe en revue son passé vide de sens et son présent.
Comme dramaturge, Ionesco transforme en pièce le roman Ce formidable bordel ! (1973). Dans cette pièce, il fait jouer au personnage principal un rôle tout à fait passif, presque muet et tout de même impressionnant. Comme la pièce ne se prive pas de jeter des sarcasmes sur les soixante-huitards, ceux-ci le traitent d'auteur fascisant, lui qui avait été longtemps considéré comme le porte-parole d'une critique radicale de la société moderne.
En 1975, il donne sa dernière pièce, L'Homme aux valises. Après quoi Ionesco campe sur sa position d'auteur de théâtre reconnu, jouissant d'une gloire incontestée, et se tourne davantage vers d'autres genres, en particulier l'autobiographie.
Dans les années 1980 et 1990, Ionesco, dont la santé est de plus en plus mauvaise, sombre dans la dépression. Il utilise alors la peinture comme thérapie.
En février 1989, il ouvre la session publique organisée par le Parlement européen au sujet des violations des droits de l'homme commises par le régime communiste roumain.
Quand il meurt à Paris, à l'âge de 84 ans, pour être enterré au cimetière du Montparnasse, Ionesco est non seulement roi sans couronne du théâtre de l'absurde, mais il est aussi considéré comme l'un des grands dramaturges français du XXe siècle.

Une triple figure d'auteur

L'entrée « Eugène Ionesco » des encyclopédies retient et entérine la figure - synthétique et minimaliste - d'un dramaturge français d'origine roumaine, chef de file du théâtre de l'absurde aux côtés de Samuel Beckett. Il montrait à son égard de l’admiration, autant que de l’agacement d’être mis en concurrence avec l’auteur irlandais. « En disant que Beckett est le promoteur du théâtre de l’absurde, en cachant que c’était moi, les journalistes et les historiens littéraires amateurs commettent une désinformation dont je suis victime et qui est calculée. » Il insiste sur le fait que En attendant Godot est arrivé trois ans après La Cantatrice chauve, deux ans après la Leçon et un an après Les Chaises.
Dans son expression la plus simple, Ionesco est réduit à « l'auteur de La Cantatrice chauve ». Rien de plus réducteur : le roman, les contes, les nouvelles, les journaux intimes, les pamphlets, les essais politiques et esthétiques de Ionesco ont été trop souvent mésestimés, voire occultés, peut-être à cause de la difficulté à les relier directement à la dramaturgie avant-gardiste de leur auteur. Eugène Ionesco est certes l’auteur des Chaises, de Rhinocéros et de La Soif et la faim ; il est aussi l’auteur d’Antidotes, du Le Solitaire et de La Quête intermittente.
La particularité de celui auquel Jacques Mauclair a décerné le titre d’« enfant terrible de la littérature et de la vie parisienne » est certainement de résister farouchement à tout essai de démystification. Cependant, cette figure d'auteur relativement complexe semble s'articuler autour d'au moins trois images qui se superposent.

L'« anti-auteur »

En premier lieu, l’entrée de Ionesco dans l’espace littéraire de l’après-guerre, de La Cantatrice chauve à L'Impromptu de l'Alma. Ionesco devient auteur, ou plutôt un « anti-auteur », présentant au public des « anti-pièces » qui s’écartent de l’horizon d'attente de celui-ci. Ionesco est alors un personnage iconoclaste et avant-gardiste. Arrivé sur les planches par le truchement de circonstances inattendues, il côtoie les rangs du collège de Pataphysique, et déroute la critique parisienne par ses facéties et son esprit de contradiction.

Le « grand écrivain »

Ionesco est un de ces rares auteurs à avoir été reconnu de son vivant comme un « classique ». Il a ainsi connu une renommée internationale fulgurante, d’abord au Royaume-Uni, où il a suscité de nouvelles polémiques avec le critique dramatique Kenneth Tynan. Ses pièces ont en outre connu un succès populaire jamais démenti, qui les a conduites des petites salles du Quartier latin (les Noctambules, le Poche, la Huchette) où il a fait ses débuts, aux grandes scènes parisiennes (le théâtre de l'Odéon, le Studio des Champs-Elysées, la Comédie-Française). Ce succès public a été enfin confirmé par une reconnaissance institutionnelle : élection à l’Académie française, mais aussi prix T.S. Elliot-Ingersoll à Chicago. Dramaturge, essayiste, romancier, conférencier qui se fait remarquer par son engagement politique, Ionesco devient, avec Rhinocéros, Le roi se meurt, La Soif et la Faim, Jeux de massacre et Macbett, série de grandes pièces tragiques, un écrivain occupant une place essentielle dans la littérature mondiale.

Un « homme en question »

Enfin, le troisième versant de cette figure d’auteur apparaît dans son retrait de la scène littéraire. À Saint-Gall, en Suisse, Ionesco abandonne ainsi les mots pour une peinture naïve et chargée de symboles. Le dernier visage de Ionesco est celui du mystique épris de philosophie orientale, passionné par la Kabbale, dans le sillage de son ami Mircea Eliade. Les essais de cette époque, d’Antidotes à La Quête intermittente, en passant par Un homme en question, sont autant de monologues nostalgiques et métaphysiques, au travers desquels Ionesco s'oriente vers une écriture intimiste où il se cherche, s’analyse lui-même et se révèle.
La coexistence intermittente de ces trois figures ne fait aucun doute. En effet, l’introspection est déjà présente en 1952 dans Les Chaises et en 1956 dans Amédée ou Comment s'en débarrasser, de même que les journaux intimes, Journal en miettes et Présent passé. Passé présent, sont publiés dans les années 1960, soit à l’époque où il investit les grandes scènes aux côtés de Jean-Louis Barrault. À l’inverse, alors qu'Ionesco semble s’être retiré de la vie publique, alors même qu’il est hospitalisé à Bruxelles le 22 février 1989, il transmet, par l’intermédiaire de sa fille, un réquisitoire célèbre contre le génocide du régime roumain, renouant avec la figure de l’intellectuel engagé. Pour autant, le 7 mai de la même année, à l’occasion de la Troisième Nuit des Molières, la facétie de l’amuseur et du trublion n'ont pas disparu. Ionesco reste parfaitement inégal à lui-même.

Œuvre


Eugène Ionesco est considéré, avec l'Irlandais Samuel Beckett, comme le père du théâtre de l'absurde, pour lequel il faut « sur un texte burlesque un jeu dramatique ; sur un texte dramatique, un jeu burlesque ». Au-delà du ridicule des situations les plus banales, le théâtre de Ionesco représente de façon palpable la solitude de l'homme et l'insignifiance de son existence. Il refusait cependant lui-même la catégorisation de ses œuvres sous la dénomination de théâtre de l’Absurde. « Je préfère à l’expression absurde celle d’insolite. » Il voit dans ce dernier terme un caractère d’effroi et d’émerveillement face à l’étrangeté du monde alors que l’absurde serait synonyme de non-sens, d’incompréhension. « Ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas une chose qu’elle est absurde » résume son biographe André Le Gall.

Théâtre

LA CANTATRICE CHAUVE

Genèse de la pièce

L'idée de la pièce est venue à Ionesco lorsqu'il a essayé d'apprendre l'anglais par le biais de la méthode Assimil. Frappé par la teneur des dialogues, à la fois très sobres et étranges mais aussi par l'enchaînement de phrases sans rapport, il décide d'écrire une pièce absurde intitulée l'anglais sans peine. Ce n'est qu'après un lapsus, lors d'une répétition, que le titre de la pièce est fixé : l'acteur qui jouait le pompier devait parler, dans une très longue tirade, d'une institutrice blonde… et au lieu de dire « une institutrice blonde » a dit « une cantatrice chauve » qui devint le titre de la pièce.
Ionesco s'inspire de la méthode Assimil, mais dans Notes et contre-notes, il explique que l'absurde est venu se surajouter à la simple copie du manuel d'apprentissage. L'absurde devient le moteur de la pièce, car Ionesco a le projet de “grossir les ficelles de l'illusion théâtrale”.


Histoire

Il est neuf heures du soir, dans un intérieur bourgeois de Londres, le salon de M. et Mme Smith. La pendule sonne les « dix-sept coups anglais ».
M. et Mme Smith ont fini de dîner. Ils bavardent au coin du feu. M. Smith parcourt son journal. Le couple se répand en propos futiles, souvent saugrenus, voire incohérents. Leurs raisonnements sont surprenants et ils passent sans transition d’un sujet à un autre.
Ils évoquent notamment une famille dont tous les membres s’appellent Bobby Watson. Cela raconte que Bobby Watson est mort il y a deux ans, mais qu'ils sont allés à son enterrement il y a un an et demi et que cela fait trois ans qu'il parlent de son décès. M. Smith, lui, s’étonne, de ce qu’on mentionne « toujours l’âge des personnes décédées et jamais celui des nouveau-nés ». Un désaccord semble les opposer, mais ils se réconcilient rapidement. La pendule continue de sonner « sept fois », puis « trois fois », « cinq fois », « deux fois », puis, comble de l'absurde, « autant de fois qu'elle veut ».
Mary, la bonne, entre alors en scène et tient, elle aussi, des propos assez incohérents. Puis elle annonce la visite d’un couple ami, les Martin. M. et Mme Smith quittent la pièce pour aller s’habiller.
Mary fait alors entrer les invités, non sans leur reprocher leur retard.
Les Martin attendent dans le salon des Smith. Ils s’assoient l’un en face de l’autre. Ils ne se connaissent apparemment pas. Le dialogue qui s’engage leur permet pourtant de constater une série de coïncidences curieuses. Ils sont tous deux originaires de Manchester. Il y a « cinq semaines environ », ils ont pris le même train, ont occupé le même wagon et le même compartiment. Ils constatent également qu’ils habitent à Londres, la même rue, le même numéro, le même appartement et qu’ils dorment dans la même chambre. Ils finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre en découvrant qu’ils sont mari et femme. Les deux époux s’embrassent et s’endorment.
Mais, Mary, la bonne, de retour sur scène, remet en cause ces retrouvailles et révèle au public qu’en réalité les époux Martin ne sont pas les époux Martin. Elle-même confesse d’ailleurs sa véritable identité : « Mon vrai nom est Sherlock Holmes ».
Les Martin préfèrent ignorer l’affreuse vérité. Ils sont trop heureux de s’être retrouvés et se promettent de ne plus se perdre.
Les Smith viennent accueillir leurs invités. La pendule continue de sonner en toute incohérence. Les Smith et les Martin parlent maintenant pour ne rien dire. Puis par trois fois on sonne à la porte d’entrée. Mme Smith va ouvrir, mais il n’y a personne. Elle en arrive à cette conclusion paradoxale : « L’expérience nous apprend que lorsqu’on entend sonner à la porte, c’est qu’il n’y a jamais personne ». Cette affirmation déclenche une vive polémique. Un quatrième coup de sonnette retentit. M. Smith va ouvrir. Paraît cette fois le capitaine des pompiers.
Les deux couples questionnent le capitaine des pompiers pour tenter de percer le mystère des coups de sonnette. Mais cette énigme paraît insoluble. Le capitaine des pompiers se plaint alors des incendies qui se font de plus en plus rares. Puis il se met à raconter des anecdotes incohérentes que les deux couples accueillent avec des commentaires étranges.
Réapparaît alors Mary, la bonne, qui souhaite, elle aussi raconter une anecdote. Les Smith se montrent indignés de l’attitude de leur servante. On apprend alors que la bonne et le pompier sont d’anciens amants. Mary souhaite à tout prix réciter un poème en l’honneur du capitaine. Sur l’insistance des Martin on lui laisse la parole, mais on la pousse hors de la pièce pendant le récit. Le pompier prend alors congé en invoquant un incendie qui est prévu « dans trois quarts d’heure et seize minutes exactement ». Avant de sortir il demande des nouvelles de la cantatrice chauve. Les invités ont un silence gêné puis Mme Smith répond : « Elle se coiffe toujours de la même façon ».
Les Smith et les Martin reprennent leur place et échangent une série de phrases dépourvues de toute logique. Puis les phrases se font de plus en plus brèves au point de devenir une suite de mots puis d’onomatopées. La situation devient électrique. Ils finissent tous par répéter la même phrase, de plus en plus vite : « C’est pas par là, c’est par ici ! »
Ils quittent alors la scène, en hurlant dans l’obscurité.
La lumière revient. M. et Mme Martin sont assis à la place des Smith. Ils reprennent les répliques de la première scène. La pièce semble recommencer, comme si les personnages, et plus généralement les individus étaient interchangeables. Puis le rideau se ferme lentement.
N.B. : Lors des premières représentation, le recommencement final s'effectuait avec les Smith, l'auteur n'ayant eu l'idée de substituer les Martin aux Smith qu'à la centième représentation.

Scène 1.
Intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. Soirée anglaise. M. Smith, Anglais, dans son fauteuil et ses Pantoufles anglais, fume sa pipe anglaise et lit un journal anglais, près d'un feu anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise, anglaise. A côté de lui, dans un autre fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise, raccommode des chaussettes anglaises. Un long moment de silence anglais. La pendule anglaise frappe dix-sept coups anglais.
Mme SMITH – Tiens, il est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du poisson, des pommes de terre au lard, de la salade anglaise. Les enfants ont bu de l'eau anglaise. Nous avons bien mangé, ce soir. C'est parce que nous habitons dans les environs de Londres et que notre nom est Smith.
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme SMITH – Les pommes de terre sont très bonnes avec le lard, l'huile de la salade n'était pas rance. L'huile de l'épicier du coin est de bien meilleure qualité que l'huile de l'épicier d'en face, elle est même meilleure que l'huile de l'épicier du bas de la côte. Mais je ne veux pas, dire que leur huile à eux soit mauvaise.
M. SMITH, continuant sa lecture,fait claquer sa langue.
Mme SMITH - Pourtant, c'est toujours l'huile de l'épicier du coin qui est la meilleure...
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme SMITH - Mary a bien cuit les pommes de terre, cette fois-ci. La dernière fois elle ne les avait pas bien fait cuire. Je ne les aime que lorsqu'elles sont bien cuites.
M. SMITH, continuant sa lecture, fait claquer sa langue.
Mme SMITH - Le poisson était frais. Je m'en suis léché les babines. J'en ai pris deux fois. Non, trois fois. Ça me fait aller aux cabinets. Toi aussi tu en as pris trois fois. Cependant la troisième fois, tu en as pris moins que les deux premières fois, tandis que moi j'en ai pris beaucoup plus. J'ai mieux mangé que toi, ce soir. Comment ça se fait? D'habitude, c'est toi qui manges le plus. Ce n'est pas l'appétit qui te manque.
M. SMITH, fait claquer sa langue.
Mme SMITH - Cependant, la soupe était peut-être un peu trop salée. Elle avait plus de sel que toi. Ah, ah, ah. Elle avait aussi trop de poireaux et pas assez d'oignons. Je regrette de ne pas avoir conseillé à Mary d'y ajouter un peu d'anis étoilé. La prochaine fois, je saurai m'y prendre.
M. SMITH, continuant sa lecture,fait claquer sa langue.
Mme SMITH - Notre petit garçon aurait bien voulu boire de la bière, il aimera s'en mettre plein la lampe, il te ressemble. Tu as vu à table, comme il visait la bouteille? Mais moi, j'ai versé dans son verre de l'eau de la carafe. I1 avait soif et il l'a bue. Hélène me res¬semble : elle est bonne ménagère, économe, joue du piano. Elle ne demande jamais à boire de la bière anglaise. C'est comme notre petite fille qui ne boit que du lait et ne mange que de la bouillie. Ça se voit qu'elle n'a que deux ans. Elle s'appelle Peggy.
La tarte aux coings et aux haricots a été formi¬dable. On aurait bien fait peut-être de prendre, au dessert, un petit verre de vin de Bourgogne australien mais je n'ai pas apporté le vin à table afin de ne pas donner aux enfants une mauvaise preuve de gourmandise. Il faut leur apprendre à être sobre et mesuré dans la vie.

M. SMITH, continuant sa lecture, lait claquer sa langue.
Mme SMITH - Mrs Parker connaît un épicier roumain, nommé Popesco Rosenfeld, qui vient d'arriver de Constan¬tinople. C'est un grand spécialiste en yaourt. I1 est diplômé de l'école des fabricants de yaourt d'Andri¬nople. J'irai demain lui acheter une grande marmite de yaourt roumain folklorique. On n'a pas souvent des choses pareilles ici, dans les environs de Londres.
M. SMITH, continuant sa lecture fait claquer sa langue.
Mme SMITH - Le yaourt est excellent pour l'estomac, les reins, l'appendicite et l'apothéose. C'est ce que m'a dit le docteur Mackenzie-King qui soigne les enfants de nos voisins, les Johns. C'est un bon médecin. On peut avoir confiance en lui. Il ne recommande jamais d'autres médicaments que ceux dont il a fait l'expé¬rience sur lui-même. Avant de faire opérer Parker, c'est lui d'abord qui s'est fait opérer du foie, sans être aucunement malade.
M. SMITH - Mais alors comment se fait-il que le docteur s'en soit tiré et que Parker en soit mort?
Mme SMITH - Parce que l'opération a réussi chez le docteur et n'a pas réussi chez Parker.
M. SMITH - Alors Mackenzie n'est pas un bon docteur. L'opé¬ration aurait dû réussir chez tous les deux ou alors tous les deux auraient dû succomber.
Mme SMITH - Pourquoi?
M. SMITH - Un médecin consciencieux doit mourir avec le malade s'ils ne peuvent pas guérir ensemble. Le commandant d'un bateau périt avec le bateau, dans les vagues. Il ne lui survit pas.
Mme SMITH - On ne peut comparer un malade à un bateau.
M. SMITH - Pourquoi pas? Le bateau a aussi ses maladies; d'ailleurs ton docteur est aussi sain qu'un vaisseau; voilà pourquoi encore il devait périr en même temps que le malade comme le docteur et son bateau.
Mme SMITH - Ah! Je n'y avais pas pensé... C'est peut-être juste... et alors, quelle conclusion en tires-tu?
M. SMITH - C'est que tous les docteurs ne sont que des charla¬tans. Et tous les malades aussi. Seule la marine est honnête en Angleterre.
Mme SMITH - Mais pas les marins.
M. SMITH - Naturellement.
PLAN DE TRAVAIL

I)    Une scène d'exposition au premier abord traditionnelle
a)   Présentation du cadre spatio-temporel
b)   Présentation des personnages

II)    Anti-théâtral
a)    Non respect des règles du théâtre classique
b)    Il ne se passe rien (puisque tout est en fait symbolique chez Ionesco).

III)   Un "absurde" comique

a)    Le comique par les mots (répétitions)
b)    Le comique de la scène : un dialogue de sourd.


 I. Une scène d’exposition d'apparence classique

Ionesco compose une pièce et une scène d’exposition qui respecte la plupart des conventions théâtrales dans l’organisation du texte (scène, nom des personnages, didascalies), dans les informations délivrées : la didascalie initiale présente le décor -> rôle traditionnel de cette didascalie qui ouvre le texte. Les personnages : présentés dans les dialogues : le nom, la situation familiale, le lieu, le contexte. Il y a ici un aspect très traditionnel : famille de trois enfants, Le nom Smith typiquement anglais qui touche au stéréotype : Mr Smith a une moustache et un journal et Mme Smith tricote des chaussettes et parle. Seul l’action est le point obscur car rien ne laisse imaginer le sujet de la pièce : différence entre la scène et le titre, pas d’action sur scène, simple récit d’un repas et pas d’hypothèse de lecture possible puisque l’action décrite est achevée : "nous avons bien mangé ce soir".


DONC : à travers cet extrait, Ionesco démontre qu’il maîtrise tous les codes de l’écriture, enjeux de l’exposition à l’exception de la présentation de l’intrigue. Mais cette absence dévoile aussi son projet : parodier le théâtre.



II. Une scène d’exposition parodiée jusqu’à l’absurde


La scène d’exposition est parodiée : Ionesco amplifie de nombreux éléments propres aux attentes de l’exposition :

- le contexte avec anglais omniprésent,
- les informations sur les personnages : trop grand nombre,
- certaines anecdotes et délivrées de façon artificielle,
- rapport titre/scène : aucun rapport => aucune hypothèse de lecture possible.

DONC : Ionesco construit ici une exposition, sous certains aspects classique mais totalement artificielle car rien n’est réaliste et tout est exagéré, ce qui augmente la présence de l’absurde. Il est présent au cœur même du texte, dans les didascalies. Il se manifeste surtout dans les répliques de Mme Smith. Il y a création de fausse logique, d’un raisonnement proche du syllogisme.

L’absurde de la situation, des dialogues et des personnages accentue l’aspect artificiel de l’exposition : rien ne semble vrai, pas plus les personnages que la situation où les dialogues qui sont vides de sens.
Conclusion

La scène d’exposition de La Cantatrice chauve crée un malaise chez le lecteur/spectateur qui assiste à un début de représentation classique mais qui se révèle très vite dénué de sens. Les dialogues sont vides, les personnages s’apparentent à des mécaniques. On comprend peu à peu le sous titre d’anti-pièce.



1 comentario:

  1. http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I00016752/ionesco-se-raconte.fr.html.... a cent ans...

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